Mots du libraire
La sélection de Francois
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Lard et cochon !
Le problème avec Dutronc, ce sont ses lunettes, ses cigares et sa frange eternelle dont on ne ne sait ce qui se trouve derrière. C'est l'énigme Dutronc. Du lard ou du cochon ? Un peu des deux évidemment..
Au moins découvrons-nous le personnage à ses débuts, un pur produit parisien qui baigne très vite dans un univers musical. Les anecdotes sont riches et parfois très drôle et les débuts du chanteur reflètent une époque à la fois dure et insouciante. Finalement c'est le cinéma qui l'emporte haut la main. Dutronc possède une fascination intacte pour le 7eme art et force est de constater que le bougre a joué avec les plus grands y compris ceux qui l'ont voulu et ne l'ont pas eu...
Dutronc, donc, nous fait bien rire puis avec, certes parcimonie, dévoile (enfin) de quel bois il est fait. -
Riches, vous avez-dit riches ?
Marchands de sable d'Agnès Mathieu-Daudé éditions Flammarion, 21 Euros.
Savez-vous que la Sardaigne regorge de millionaires (l'été) ? Il y a ceux qui choisissent le nord (on les devine depuis Bonifacio) et ceux qui élisent le sud pour la snobissime raison qu'il y en a trop au nord..
Les "Marchands de sable", vous l'aurez compris, sont au sud. Ce sont les Signorelli, maîtres du roulement à bille niché, tels les grains de sable, dans l'industrie automobile voire l'armement..
Des Signorelli nous découvrons, outre qu'ils bronzent le jour et boivent la nuit, que leur héritier - Paolo - s'est marié à une "francese". (C'est elle qui nous raconte l'histoire).
Cette singularité plus ou moins acceptée par les parents de Paolo engendre quelques remous au sujet des enfants, notamment. Mais surtout, dans cette maison coupée du monde, on s'ennuie. C'est donc la "francese", Suzanne "en vrai", qui organise une sortie vers un lieu culturel. Paolo, leurs trois enfants s'égayent autour des ruines puis font la rencontre d'une jeune femme, une guide touristique qui, immédiatement, est attirée par Suzanne qu'elle souhaite revoir en tête à tête.
Si le mode humoristique opère pleinement au début, peu à peu l'atmosphère devient plus pesante à mesure que Suzanne aborde l'histoire des Signorelli par leur face cachée (une fortune aux origines suspectes). -
Si loins, si proches
Le temps n'y fait rien et le mal a meurtri les corps et les âmes mais Daniel Ahearn semble néanmoins y croire maintenant qu'il est vieux et libre : revoir sa fille Susan qu'il n'a connu que trois années, les premières.
Une si longue absence va rembobiner le film de ces deux êtres séparés par un drame : le meurtre de Linda alors femme de Daniel et mère de Susan.
Une si longue absence réclame de la patience mais le cheminement est indispensable pour affronter un mal si profond.
Une si longue absence surprend par l'accoutumance qu'il y a à entendre deux voix si loins et si proches qui confessent l'extrêmité de leur moi et leur voeu de délivrance. Leur confrontation devient inéxorable et c'est peu de dire que l'auteur parvient à une fin dantesque. -
Ha ! Les prix !
Ha ! les prix ! les prix ! ces fameux prix d'automne après lesquels on court, que l'on soit auteur ou lecteur, libraire ou éditeur. Les voici démystifiés, remis à leur place par un de ses couronnés, un véritable champion qui obtint en 1990, le Graal, c'est à dire le Goncourt..
Non, Jean Rouaud ne crache pas dans la soupe, les semaines et les mois de son récit en font apparaître d'autres quand justement l'auteur s'employait à obtenir une reconnaissance littéraire. Le passé familial qu'il mit en scène avait alors pour département la Loire-Inférieure, il révélait une France ouvrière hantée par la première guerre mondiale.
Ce premier livre accepté par les éditions de Minuit, dépassa toutes les espérances et devint dans la vie de Jean Rouaud connu alors dans la seule rue de Flandres (Paris 19eme) où il officiait comme kiosquier, une comédie qu'il reproduit, plus de trente après, avec une finesse - que l'auteur possédait déjà - et une acuité acquise après sa fréquentation des moeurs littéraires qui valaient et valent toujours du côté de Saint-Germain-des-près.. .
Que tout cela puisse, au final, vous inciter à déguster ce festin littéraire, de bout en bout, sans restriction. -
Trois mythes en un !
Réjouissons-nous de pouvoir rire un peu d'une abracadabrante aventure qui se serait vraiment passée. 1962, la Joconde du grand Leonard embarque sur l'insubmersible paquebot France. A son bord le non moins fameux ministre de la culture de l'époque que chacune et chacun se devra de reconnaître. Une chose est sûre avec une personnalité pareille l'ennui n'est pas de mise. Mais pourquoi donc la Joconde s'en est allée sur le grand rafiot français ? Et qui d'autre encore se trouvait sur la légendaire ligne Le Havre - New-York ? Le plaisir est grandiose à feuilleter cet album "historique" pour une visite nostalgique s'il en faut du paquebot qui symbolisa les grandes heures de la France. Reste que la vedette ultime de l'histoire est encore à trouver..
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Une famille décomposée
Le lieu bien sûr compte beaucoup chez Marie-Hélène Lafon mais cette histoire concerne tellement de gens... La vie à la montagne n'est pas facile quand on vit dans une ferme. Le travail prend une place trop grande. Les bêtes et les champs sont de constants sujets d'inquiétude. Marie-Hélène connait parfaitement ces conditions de vie et il lui est aisée d'y creuser le cruel désamour qui s'est installé chez un couple. C'est la femme qui prend la première la parole. Nous l'entendons vivre sa misère et la détestation de l'homme responsable de son état. Car ce sont deux êtres ennemis qui s'évitent avec dans la zone dite neutre leurs trois enfants tous très jeunes. L'immersion est complète au travers de ce monologue dont les cris débordent sans qu'ils soient pour autant dits ou montrés.La haine est sourde et la violence ne transparait que dans les rapports conjugaux qui ont détruit cette femme.Heureusement elle est partie après avoir mené un combat avec la justice de son côté.
Cela pourrait s'arrêter là si le deuxième volet des Sources n'ajoutait la voix de l'homme, des années après. Celui-ci a reçu sa part de destruction. Son sommeil n'est plus le même, ses pensées ne s'arrêtent plus dans une solitude désormais immense. Que parviendra t-il à sauver de cette ferme à qui il a consacré sa vie ? Comment le perçoivent ses enfants pour lesquels il a droit de visite un week-end sur deux et qu'il reçoit deux semaines par an pour les vacances ? Là encore Marie-Hélène Lafont est époustouflante dans les lamentations fières de cet homme tombé sous les coups du jugement d'un divorce.
Les faits ont eu lieu dans les années soixante-dix et tout cela nous parait terriblement proche lorsque survient la douce note de l'un des trois enfants qui arrive,quand tout est terminé et que l'inéluctable s'est produit : la ferme a été vendue.
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A la mémoire du père
Les éditions de Minuit n'ont pas été créée par Jérôme Lindon mais il en a indubitablement était la légende très au-delà de ce qu'il avait voulu au départ. Vingt ans ont été nécéssaires au plus jeune de ses fils pour écrire Une archive. Tout simplement parce que de l'aveu de l'auteur lui-même il aime prendre son temps. Peut-être cela cache t-il aussi le besoin de bien prendre en compte la trace laissée par ce fameux père dans l'univers du livre. Du plasticage de l'appartement parisien aux temps agités de la guerre d'Algérie à la lutte victorieuse pour le prix unique du livre, de la révélation au monde de Samuel Beckett (jusqu'à l'obtention du prix Nobel) à l'élaboration de l'école du nouveau roman (Robbe-Grillet, Simon, Butor, Pinget, Sarraute..), du premier Goncourt des éditions de Minuit avec L'amant de Marguerite Duras à la découverte d'un écrivain nommé Jean Echenoz, le chemin fut long et sinueux et il fut parfois difficile à Mathieu Lindon de surnager lorsque soi-même on aspire à devenir un auteur. Il n'empêche que ce livre au phrasé singulier pénètre dans l'intimité d'une famille, à la manière des Mann dont Colm Toibin avec Le magicien nous fait comprendre les engagements souvent risqués dans l'art et la politique.