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Jean Rouaud
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« Comédie d'automne constitue le sixième et dernier épisode de « La vie poétique ». Je travaillais au kiosque quand « le tournant de la rigueur » nous a précipités dans une course à l'argent. Parmi les habitués se trouvait un homme d'une soixantaine d'années, Albert, dont j'appris au fil du temps qu'il était rentier, d'où son intérêt pour la seconde édition du Monde et des cours de la bourse. Spécialiste de Stendhal, il sera mon premier lecteur, et un conseiller avisé. Il est un des trois personnages centraux du livre. Avec ma mère qui ne vit pas d'un bon oeil la parution des Champs d'honneur, et encore moins l'attribution à son fils du prix Goncourt. Ce qui nous amène à cette « comédie d'automne ». On pourrait croire que le prix récompense le seul mérite d'un livre. Ô naïveté, les arcanes de l'édition ne fonctionnent pas sur des critères aussi élémentaires. C'est oublier les intérêts économiques, les rivalités, les ambitions, de sorte que les jurés du prix, dont la probité aux yeux de la presse était sujette à caution, furent très contents de pouvoir l'attribuer à un innocent n'ayant rien à voir avec le milieu, qui plus est auteur d'un livre paru aux très austères et vertueuses Éditions de Minuit. L'entreprise de blanchiment était parfaite. Le troisième personnage crucial, car c'est par lui que le livre existe, c'est l'éditeur. Moins détaché qu'il n'y paraît. Et le narrateur ? Tout d'abord spectateur, venant d'une époque où ce genre de prix était discrédité, il assiste depuis son kiosque à cet étrange ballet de journalistes, de curieux, de rumeurs, de caméras de télévision, sans se sentir vraiment concerné. Le moment venu, ce ne sera pas aussi simple. Mais c'est bien grâce à ce livre qu'il fit la connaissance de deux hommes merveilleux : Bernard Rapp et Robert Doisneau. Ensuite, ce n'est plus la même histoire. »J.R.
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Shabbat, ma terre : Trois propositions pour repousser le jour du désastre
Jean Rouaud
- Gallimard
- 23 Mars 2023
- 9782073028655
«Pas de shabbat, pas de dimanche pour les machines. Et les hommes suivent au rythme infernal du cirque consumériste. Et ça se dit libre.»Jean RouaudAlors que le débat sur la place du travail dans nos vies anime à nouveau la société française, il est utile de nous remémorer le jour de paresse que, selon les Écritures, s'octroya le Créateur au septième jour de la Genèse. Cette sagesse n'est certes pas celle des hommes, occupés depuis le Néolithique, et l'invention géniale de l'agriculture, à exploiter sans répit ni mesure ce qui leur a été donné : la Terre, les animaux et eux-mêmes. Exploiter jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à tirer, exploiter jusqu'à l'épuisement de toutes nos vraies richesses, naturelles et humaines. Comme Dieu le fit pour lui-même, et à l'exemple de ce que fut la succession des saisons, octroyons-nous ce temps de repos, laissons vivre le vivant et, avant qu'il ne soit trop tard, accordons des vacances à la terre : «Vacances pour la Terre, Repos la Terre, Shabbat ma Terre».
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Ils sont morts à quelques semaines d'intervalle : d'abord le père, puis la vieille tante de celui-ci, enfin le grand-père maternel.
Mais cette série funèbre semble n'avoir fait qu'un seul disparu : le narrateur, dont le vide occupe le centre du récit. c'est à la périphérie et à partir d'infimes indices (un dentier, quelques photos, une image pieuse) que se constitue peu à peu une histoire, qui finira par atteindre, par strates successives, l'horizon de l'histoire majuscule avec sa grande guerre, berceau de tous les mystères.
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C'est la plus belle énigme de l'histoire du monde. Litanie de splendeurs : Lascaux, Rouffignac, Niaux... Ceux qu'on se figurait en brutes épaisses tout juste descendues du singe en savaient aussi long que nous sur la meilleure part de nous-mêmes. Il nous reste à imaginer ce qui leur passait par la tête, comment ils en vinrent à s'enfoncer sous terre, en rampant parfois, pour inventer le premier coup de pinceau et peindre des merveilles.Un essai sur les débuts de l'histoire humaine et la naissance de la création artistique, par l'auteur des Champs d'honneur (prix Goncourt 1990).
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Kiosquier de la rue de Flandres, de 1983 à 1990, Jean Rouaud a disposé d'une fenêtre sur le Paris populaire, cosmopolite. Défilent les figures pittoresques du quartier, galerie d'éclopés, de vaincus, de ratés, de rêveurs, dont le destin inquiète l'apprenti-écrivain engagé dans sa quête littéraire encore obscure, et qui se voit vieillir comme eux. Au-delà, on retrouve l'aventure d'un homme qui se fait l'archéologue de sa propre venue aux mots.
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Du père, on ne savait que peu de choses, sinon que sa mort, à quarante et un ans, un lendemain de noël, avait entraîné, par une sorte de " toi des séries ", celles de la petite tante marie et du grand-père maternel.
Quel était donc cet homme qui avait ce pouvoir de faire le vide derrière lui ? un homme illustre ? comme il en existe des millions. de ceux qui se tuent à la tâche pour assurer un semblant de bien-être à leur famille et qui, rattrapés par un quotidien dévorant, ont enterré prématurément les aspirations de leur jeunesse. tout comme ce " grand jeune homme ", orphelin, aux talents multiples, aimant le théâtre et la compagnie, qui n'eut que le tort d'avoir vingt ans au moment où l'europe rejouait un " remake ", plus sanglant encore, du premier conflit mondial.
Des hommes illustres constitue le deuxième volet d'une suite romanesque qui commence par les champs d'honneur (sur la figure du grand-père), se poursuit par le monde à peu près (sur le deuil du père), pour vos cadeaux (portrait de la mère), et qui se clôt avec sur la scène comme au ciel (la cérémonie des adieux), l'ensemble composant une sorte de livre des origines.
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L'avenir des simples ; petit traité de résistance
Jean Rouaud
- Points
- Points Documents
- 11 Mars 2021
- 9782757887936
L'heure est grave : ravages du glyphosate, des pesticides et herbicides, dégâts causés par le règne des « multi-monstres » et de l'oligarchie financière, massacres des animaux pour garnir nos assiettes... Notre monde va mal, très mal. Pour faire face, Jean Rouaud invite à une révolution des esprits : adopter une alimentation respectueuse de l'environnement, refuser la surconsommation, prendre le temps de vivre et de se soucier des autres. Implacable et passionnant, L'Avenir des simples est un traité de résistance pour l'humanité. Notre humanité.
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Chaque fois qu'on se met à la recherche d'un esprit libre, c'est vers lui qu'on se tourne. Toujours.
Chaque fois qu'on se met à la recherche d'un esprit libre, c'est vers lui qu'on se tourne. Parce que l'intolérance et la barbarie menacent toujours et encore, et parce qu'il estime que Montaigne, avec sa parole de la fin du XVIe siècle, offre la réponse la plus pertinente à l'oeuvre destructrice des fous de Dieu, Jean Rouaud a imaginé un affrontement entre l'auteur des Essais et un juge sectaire chargé de mener son procès. Un jugement pour de faux pour tenter de dire le vrai.
C'est ici un livre de bonne foi, lecteur : ainsi commencent les Essais. Quelle audace quand, au temps des guerres de Religion, c'est précisément cette question de la bonne foi qui divise l'Europe... Jean Rouaud propose cette clef pour éclairer l'oeuvre de Montaigne et son humanisme intemporel.
Dans cette tragi-comédie, qui mêle vers rimés et non rimés, morceaux choisis, étude littéraire et réflexion politique, Jean Rouaud s'adonne à une écriture poétique, étonne, amuse et s'amuse, et trouve un terrain où s'exercent sa virtuosité comme son humour, mais aussi sa capacité d'indignation. -
Si l'on en croit les fresques du Tassili et du Levant espagnol, la guerre, c'est-à-dire l'affrontement de deux groupes armés, serait une invention du néolithique, et la cause, selon de purs critères économiques, en serait la convoitise des biens produits par l'agriculture et l'élevage, apparus dans le même temps.
Quelques milliers d'années plus tôt, à l'époque glaciaire, les mêmes s'inclinaient devant les seigneurs de la toundra : bisons, mammouths, aurochs etc. qu'ils représentaient avec déférence dans la ténèbre des grottes, ne se jugeant pas dignes de figurer à leurs côtés. De quoi nourrir frustration et esprit de revanche. D'autant que cette primauté accordée aux grands animaux, est la place divine.
Place que rappellent les Crows à Jeremiah Johnson quand il viole le cimetière des ancêtres dans le film de Sidney Pollack, que rappellent les paysans de La Ville-aux-fayes au général Montcornet dans les Paysans de Balzac dont le premier titre, choisi par lui, était Qui terre a, guerre a.
On peut même considérer que c'est avec le ciel que la terre est en guerre. Et aujourd'hui, c'est le ciel qui regimbe et s'échauffe face aux méthodes brutales de l'agriculture dont les « progrès » (nitrite, pesticides, fongicides) sont un héritage direct des guerres du XXème siècle. -
Comment peut-on, adolescent, faire la démonstration d'un talent inouï au point de devenir une sorte de bête de foire dans les milieux littéraires parisiens, et à vingt ans, renoncer brutalement à la poésie pour partir vendre du café et des casseroles en Afrique ? C'est ce qu'on a l'habitude d'appeler le mystère Rimbaud. Cette répudiation lui a valu anathème (André Breton) et incompréhension (Etiemble), certains comme René Char se montrant plus compatissants (« tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud »). Mais aucun ne s'est demandé si ce n'était pas plutôt la poésie qui l'avait lâché, inapte désormais à rendre compte de la modernité qui, sous la bannière du progrès, rendait obsolète le vieux monde de l'alexandrin et du sonnet.
Or le jeune Rimbaud fut en première ligne dans ce changement à vue. Il fut hébergé par Charles Cros, poète et inventeur du phonographe, fréquenta Paul Demeny dont le frère Georges est un des pionniers du cinéma, usa abondamment des trains et des vapeurs, posa pour Carjat, le photographe des « people », assista à la construction du premier métro du monde, celui de Londres, et il connaissait au moins par Cabaner les discussions enflammées du café Guerbois où Monet, Manet, Cézanne, procédait au dynamitage de l'académisme.
« Il faut être absolument moderne », lâche-t-il dans Une saison en enfer, établissant bien moins sa feuille de route que reprenant un mantra du temps. Et la poésie dans tout ça ? « Ne va-t-il pas être bientôt temps de supprimer l'alexandrin ? » glissa-t-il à Banville, alors grand maitre du Parnasse. Il s'en chargea dans Une Saison en enfer et dans les Illuminations.
Pour nous aider à percer le mystère, restent heureusement les témoins. Et dans cette constellation, les étoiles de première grandeur : Ernest Delahaye, l'ami du collège, Georges Izambard, le professeur à peine plus âgé que son élève, Isabelle qui accompagna avec un dévouement amoureux l'agonie de son frère, et Alfred Bardey qu'on ne peut soupçonner d'avoir été influencé par un passé dont il ignorait tout quand il engagea à Aden pour surveiller ses entrepôts de café un jeune Français trainant dans les ports de la Mer Rouge. Mais tous s'entendent pour confirmer la prophétie du vieux professeur du collège de Charleville que fixait derrière son pupitre le regard pervenche : « Rien de banal ne germera dans cette tête. » Jean Rouaud -
'Une vie poétique ? Disons une vie dont la poésie est le guide-fil. On embarque avec un héritage (des valeurs pieuses, un père mort, une enfance pluvieuse), avec un désir d'écriture, un rêve d'amour, et puis, son maigre bagage sur le dos, on traverse un territoire marqué par des événements, ici l'onde de choc de mai 68. Ce qui oblige à répondre à la question : qu'est ce que l'époque m'a fait ? Elle m'a fait qu'à vingt ans, par exemple, il n'était pas envisageable de penser sérieusement à travailler ? ce qui allait bien avec l'idée poétique ? et encore moins honnêtement quand, dans les milieux marginaux qui quittaient la ville pour s'installer en communauté à la campagne, on vivait surtout de combines et de rapines. Elle m'a fait que, dans ce juste refus du règne de l'argent et des mirages consuméristes, il ne restait plus que les petits boulots pour survivre. Et ce qui devait être une vie insouciante, libre et joyeuse se transformait, les années passant, d'une enquête sur un apéritif à la gentiane à la vente d'une encyclopédie médicale au porte-à-porte, en un sentiment de gâchis.' Jean Rouaud.
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Pour son Petit Écart, Jean Rouaud a souhaité rassembler 5 textes dont un inédit sous le titre de Plumes et goudron. Ce titre, aux consonances western, il l'explique ainsi : « Plumes parce que c'est de l'écriture, goudron parce que c'est mettre les mains dans le cambouis, et plumes et goudrons parce qu'il y en a qui le méritent. ».Indéniablement politique, ce livre est celui d'un homme qui dit son mot sur les affaires du monde.
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La bande-son de notre enfance était rudimentaire : les cloches de l'église, le chant des coqs, et derrière le mur du jardin les seules notes d'un piano sous les doigts d'Emile. Cette pauvreté musicale était d'autant plus étonnante que nous venions d'une famille de musiciens. Ma mère qui dans le souvenir de sa soeur jouait si bien, pourquoi nous avait-elle privés de musique quand on apprenait qu'un naufragé volontaire avait dû son salut aux partitions de Bach embarquées dans son canot ? C'est ainsi que je mis les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu, jouant mal de plusieurs instruments, courant les routes, une guitare en bandoulière, sommant une charmante vieille dame de me donner des cours de piano, reprenant dans un anglais approximatif les hymnes du temps, demandant au jeune homme sombre derrière l'écran de ses cheveux de mettre en refrain sa mélancolie.
"Si je me plains c'est une espèce de façon de chanter", écrivait Rimbaud à sa mère, du rocher brûlé d'Aden. Voilà très précisément ce qu'il faut entendre : une espèce de façon de chanter.
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Après le vertigineux succès des champs d'honneur, la source ne s'est pas tarie : le monde à peu près nous inonde de bonheur.
Jean rouaud peint en virtuose les faux départs, les contretemps, les dérapages de son myope gaffeur.
Il y a un style rouaud qui nous entraîne d'emblée dans l'univers qui lui est propre.
Un libre plein, qui s'impose à vous dès la première ligne et ne cesse plus ensuite de vous tenir sous le charme.
Le roman magnifie l'ordinaire tristesse des vies moyennes à force de précisions dans la désolation et l'humour.
Est-ce l'intrication de la verve comique et du drame ? le monde à peu près ne ressemble à aucun autre roman. qui a osé écrire que le roman français était mort ?.
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« Normalement, voir débarquer un homme en tenue de plongeur sous-marin, encadré comme un prévenu, dans une gendarmerie de Basse-Normandie, inciterait plutôt à la méfiance. Seulement voilà, la normalité, le plongeur qui a tout perdu et la jeune femme venue déposer plainte pour le cambiolage de sa demeure en ont visiblement fait le tour. Que le sort se soit ainsi acharné sur eux, c'est sans doute à leurs yeux un signal d'alerte, l'occasion d'affronter enfin les ombres du passé.
Le passé, pour Daniel, chercheur en physique nucléaire, c'est une enfance orpheline désastreuse, entre un réparateur de cycles mutique et une grand-mère comateuse. Pour Mariana, artiste plasticienne, qu'on pourrait dire de bonne famille si son grand-père collaborateur n'avait été exécuté par la Résistance, c'est un désir de création dont elle semble aujourd'hui douter.
Mais il y a l'éblouissement de la rencontre, mais il y a le père de Mariana, enfermé dans sa grotte qui attend de la contemplation des fresques paléolithiques la révélation de son identité, mais il y a madame Moineau et ses intuitions à l'emporte-pièce, mais il y a ce portrait inachevé qu'il va bien falloir faire parler, mais il y a l'auteur qui poursuit un rêve semblable, et à qui cette même Mariana aurait demandé quleques lignes pour sa prochaine exposition. » Jean Rouaud.
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Une supposition, que, par-delà la mort, elle donne son avis sur ce livre qui lui a été consacré et en profite pour rétablir certaines vérités qui, selon elle, seraient bonnes à dire.
Ce dont on est sûr, c'est qu'elle commencerait par dire ceci : mais qu'est-ce qu'il raconte ? avant d'assener le coup de grâce : et puis, qu'est-ce qu'il en sait ? il étant le narrateur desdits romans sur sa famille, et par la même occasion son fils. j. r.
Sur la scène comme au ciel clôt une suite romanesque qui commence par les champs d'honneur (sur la figure du grand-père), se poursuit par des hommes illustres (sur la figure du père), le monde à peu près (sur le deuil du père), pour vos cadeaux (sur la figure de la mère), l'ensemble composant une sorte de livre des origines.
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Elle ne lira pas ces lignes, notre miraculée des bombardements de nantes, la jeune veuve d'un lendemain de noël, qui traversait trois livres sur ses petits talons, ne laissant dans son sillage qu'un parfum de dame en noir.
Même si sa vie ne se réduisait pas à cette silhouette chagrine, comprenez, il m'était impossible d'écrire sous son regard. cet air pincé par lequel se manifestait son mécontentement, j'avais dû l'affronter pour avoir ravivé, en dépit d'une prudence de sioux, une rivalité amoureuse vieille de cinquante ans à propos d'un homme mort depuis trente. a présent qu'elle régnait dans son magasin et qu'éclatait son grand rire moqueur, je n'allais pas lui gâcher son triomphe tardif.
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Nous étions deux ou trois ans après mai 68. On m'annonçait que le roman était mort, ce qui n'était pas la meilleure nouvelle quand on se promettait de devenir écrivain. (...) La solution de remplacement ? Le texte, rien que le texte. Mais à la réflexion, il y avait une autre mort qui était passée inaperçue : celle, brutale, de mon père. Est-ce que de cette mort du roman, on ne pourrait pas faire le roman de la mort ? Le roman du mort ? Vingt ans plus tard, j'apportai à l'éditeur le manuscrit qui glissait cette disparition d'un homme de quarante et un ans au milieu des massacres de la Première Guerre. L'éditeur s'alarma d'une autre disparition, celle du narrateur. Au bilan du siècle, il convenait de rajouter deux victimes collatérales : le roman et moi. J. R.
« Une réflexion magistrale sur la littérature en même temps qu'un récit autobiographique plein d'autodérision, d'humour et de pudeur. » Mohammed Aissaoui, Le Figaro littéraire.
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«À ce moment précis la littérature n'a tenu qu'à un fil. Deux amis conseillaient à un troisième qui venait de leur lire une longue mélopée dans laquelle il avait mis le meilleur de lui-même, de carrément laisser tomber. Pas grave, dirons-nous. La littérature s'en remettra. Oui, mais plus comme avant. La littérature pour survivre passe ici, à Croisset, près de Rouen, par un renoncement. Car le jeune Gustave, fils bon à rien du docteur Flaubert, jusque-là s'en faisait une autre idée. Pendant de longs mois il s'était donné dans sa Tentation de saint Antoine des éperduments de style qu'il ne retrouverait jamais. Pour l'opérer de son cancer du lyrisme, Maxime Du Camp et Louis Bouilhet, les deux amis, lui prescrivent un traitement de cheval : écrire un roman à la Balzac, terre à terre. Ce sera, contraint et forcé, Madame Bovary. Pas commodes, les temps qui s'annoncent pour ceux-là qui privilégient la phrase et le chant. Désormais le réalisme impose sa loi d'airain, les visions sont renvoyées au désert et les morts priés de ne pas ressusciter. Comme si cette fission entre la terre et le ciel renvoyait à une autre guerre secrète, déclenchée il y a plusieurs siècles autour de cette question de la double nature. La rencontre de Croisset, ultime avatar du concile de Nicée ?»Jean Rouaud.
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Un auteur, ça invente, c'est bien le moins. Par exemple, cette histoire sur un cédérom intitulé Le Vol de Nils, à travers laquelle une ex-petite fille d'extraterrestre rend hommage à son alpiniste de père, disparu en montagne, la privant ainsi de connaître la suite des aventures de Nils Holgersson qu'il lui lisait le soir et dont il avait l'habitude d'enregistrer un épisode avant de partir sur le toit du monde.Et puis un auteur ça s'invente, au sens traditionnel du terme, c'est-à-dire qu'on ne demande pas à l'inventeur d'une grotte de la fabriquer de toutes pièces en creusant la roche, non, un inventeur trouve ce qui est.Alors, comment un auteur se trouve-t-il ? D'où lui vient cette étrange idée de se reconnaître auteur quand personne ne lui a rien demandé ?Personne, vraiment ? Hum, il semblerait qu'on ne s'invente pas tout seul. Alors comment ça s'est fait ? L'auteur mène son enquête, à sa manière, en lançant devant lui sa phrase dérivante qui ramène dans ses filets un tableau de Georges de La Tour, Bernadette Soubirous, des anciens et des modernes, Jeremiah Johnson, le chevalier Taylor qui aveugla définitivement le vieux Bach, et tiens, son père avec lequel il pensait en avoir fini.
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Les poèmes et chansons qui composent Stances adoptent non sans quelque ironie le référencement des rubriques de la presse quotidienne.
Art, communication, Science, Culture, Politique, Littérature. Chaque poème est doublé par une chanson qui ajoute de la musique à la musique des mots, qui fait résonner la voix familière des refrains et la parole vive du chant.
Vincent Van Gogh et son malheur de solitude, Les paumés de la vie repoussés à la marge, la langue politique qui a perdu le sens de la langue et donc la pensée..., Jean Rouaud invite à se souvenir, à résister, à honorer cette langue française nourrie par des siècles d'écriture, de chanson, de poésie et qui est, à sa manière, une arme chargée de futur.
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Tout paradis n'est pas perdu
Jean Rouaud
- Grasset et fasquelle
- Terres Et Scien
- 6 Janvier 2016
- 9782246860914
Quand le ton a monté sur la question du voile et du menu de substitution, il m'a suffi de me retourner pour revoir dans mon enfance ce geste des femmes se couvrant la tête d'un fichu avant de sortir. Nous étions en Loire-Inférieure et la loi de 1905 était suffisamment accommodante pour accorder un jour férié aux fêtes religieuses et servir du poisson le vendredi dans les cantines, et pas seulement celles des écoles libres. Loi de séparation des Églises et de l'État, mais en réalité de l'Eglise catholique et de l'État, les autres faisant de la figuration, et l'Islam n'existant pas puisque les musulmans d'Algérie n'avaient pas le statut de citoyen. De même, il a fallu la tragédie de Charlie pour nous rappeler qu'on avait longtemps débattu avant d'autoriser la représentation des figures sacrées. Ce qui n'allait pas de soi tant le monothéisme se méfiait de l'idolâtrie en souvenir du veau d'or. Les conciliaires réunis à Nicée tranchèrent en faveur de la représentation. C'était en 843. Notre monde envahi d'images vient de là. Ce qui n'en fait pas un modèle universel.
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La splendeur escamotée de frère Cheval ou le secret des grottes ornées
Jean Rouaud
- Grasset et fasquelle
- Terres Et Scien
- 17 Janvier 2018
- 9782246815679
« Les fresques animalières des grottes ornées, miraculeusement préservées, nous disent la cosmologie du paléolithique supérieur : durant vingt-cinq mille ans, sur un territoire immense, la représentation des grands animaux n'a pas varié. Pour peu qu'on échappe au diktat matérialiste, où un cheval ne peut figurer qu'un cheval, ce bestiaire des grottes apporte une réponse cohérente à l'effroi des hommes qui ne savaient rien sur le jour et la nuit, la course du soleil, la disparition et la réapparition par morceaux de la lune, les éclairs, l'orage, l'arc-en-ciel, la mort dont ils présumaient qu'elle n'était peut-être pas un arrêt. Le cheval, avant qu'on ne le « domestique » en le contraignant à tirer de lourdes charges, était la figure du soleil...
Nous avons appelé « évolution » cette frise qui, partant du singe, conduit par « désanimalisation » successive à l'homme triomphant. Le secret des grottes ornées souffle à notre cerveau poétique une tout autre leçon : et si la « part animale » était ce que l'homme avait encore de divin en lui ? » J.R.