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Capucine Ruat
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Dès les premières pages, il sait. Il est comme un chasseur qui suit une trace. Concentré, recueilli, il passe deux doigts de la main gauche sur sa lèvre supérieure. C'est un acte précieux, délicat, doux. Il est tout entier là, dans ce rituel.
Il est drôle, irrévérencieux, de mauvaise foi.
Flamboyant au charme fou, un peu voyou, il marque mal.
Il incarne la Maison. Autour de lui, une famille d'auteurs.
Les livres qu'il publie sont comme ses enfants, il les porte, les protège, les défend. Il est l'Éditeur. Et, comme la littérature, il résiste à toute définition.
Il s'appelait Jean-Marc Roberts. Voilà dix ans qu'il a tiré sa révérence. À travers son souvenir, Capucine Ruat, éditrice auprès de lui durant quinze ans, raconte l'édition, cette passion brûlante. Et, sous sa plume subtile, ce créateur inclassable rejoint enfin la tribu des personnages de roman. -
Celle qui ne parle pas a, bien sûr, beaucoup de choses à dire. Des choses gardées secrètes au fond de soi. Des choses qui brûlent à l'intérieur. Des choses sans importance, peut-être. Il y a un moment où il faut parler, question de survie. Parce que le corps lâche peu à peu, devient maigre et retourne dans l'enfance. Parce qu'on n'a plus le goût à rien. Parce que les proches tournent le regard, aveugles ou désemparés.La jeune femme a trente ans. Elle sent qu'elle ne peut plus continuer à faire semblant. À ne pas s'aimer, à se mettre au secret. À laisser passer la vie. Si elle ne fait rien elle restera une femme confite de sel, une statue de marbre. Alors elle reprend son histoire, le fil rouge qui va d'une femme à l'autre, de sa grand-mère à sa mère, de sa soeur à sa meilleure amie. Des générations de femmes qui se transmettent un amour bancal. Un amour à cinq pattes. Une féminité mal assurée, comme un fardeau dont la jeune femme a hérité. Pour comprendre, elle fouille et cherche les racines. En 1986 elle a onze ans, elle quitte l'enfance dorée pour l'adolescence. Son corps devient lourd et ingrat, maladroit et poisseux. Face à des femmes qui ne s'aiment pas, et à une soeur aînée qui l'éclipse de toute sa beauté, elle entre en crise. Les livres et l'écriture deviennent un refuge devant le silence qui se fait. Devant la famille qui l'étouffe un peu plus chaque jour. À onze ans elle apprend la peur, qui ne la quitte plus. Aujourd'hui, derrière les femmes, il y a l'ombre des hommes. Le père, adoré dans l'enfance, qui ne vous prend plus dans ses bras. Des histoires d'amour souvent désolantes. Pourquoi n'est-on pas aimable ? Pourquoi ne s'aime-t-on pas ? C'est en parlant, tendrement, à ceux qu'on aime qu'on se fraie un chemin, c'est en écrivant qu'on se réconcilie avec la vie.
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« Il y a beaucoup d'enfants qui ne naissent jamais, et des adultes qu'on n'a pas mis au monde. La mort a fermé les yeux des disparus et ouvert ceux des survivants, tous deux sont à présent parfaitement lucides. J'aimerais l'être moins. »Celle qui dit « je », c'est Angèle Videau, soeur d'Arielle, fille d'Armelle et du « père », une apparition dans ce roman de femmes. Des femmes sur trois générations, de Mané à Armelle, d'Armelle à Angèle. Trois générations, pas une de plus.On rencontre Angèle dans la salle d'attente d'un cabinet médical, les mains posées sur un ventre qu'elle a gonflé d'espérance. Alors que se déploie sous ses yeux le ballet des futures mères, des jeunes enfants et de celles qui les ont enfantés, Angèle s'adresse à Éric. Ce prince Éric qu'elle désire de toutes ses forces et porte en elle, elle tente de l'apprivoiser. L'occasion de convoquer les rêves, les souvenirs et de combler les places laissées vides. Pourquoi les désamours et à quel point le manque ? A-t-on « raté » sa vie quand on ne la donne pas ? Il y a les questions, toutes les questions d'Angèle et qui demeurent sans réponse.Car J'attends, c'est la sensation d'une carence ; le coeur bat en sourdine, la laideur, celle qui ne s'altère pas finit par saisir d'effroi, le corps est sec et, si l'on n'y prend garde, bientôt, dans cette famille qui s'amenuise comme une peau de chagrin, les morts auront supplanté les vivants. Angèle aimerait être moins lucide mais pour Éric, elle a tout déballé. Un regard sans filtre, quasi clinique, qu'elle offre sur les siens et sur elle-même et qui révèle, dans une violence contenue et dans le sang, parfois, les secrets, les envies, les pensées honteuses, tout ce qu'on n'a pas su et pas pu dire.J'attends est un roman qui, à travers le point de vue d'une jeune femme et les brèves d'existence de celles qu'elle raconte, les anecdotes, le quotidien, réussit à approcher l'universel : la maternité, la féminité, le lien du sang et la mort.