Coups de coeur
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"Roman de plages" d'Arnaud Cathrine aux éditions Flammarion
« Non certes l’homme n’a pas en lui de quoi aimer trente-six fois. » C’est Perros qui disait ça. Cette citation sort à la page 227 de la bouche de Raphaël. Difficile d’être lucide quand on éprouve la douleur d’une rupture amoureuse.
La Méditerranée (La Grande Motte), l’Atlantique deux fois (Arcachon et Préfailles) et la Manche (Bénerville) servent de paysages refuges à cet écrivain qui use alors du journal intime comme remède pour surmonter l’épreuve. Quelques photos s’immiscent dans le récit, cartes postales paysagistes et personnelles de l’auteur qui s’ajoutent à une observation connaisseuse des êtres humains sur les plages.
Raphaël se loge à partir d’annonces locatives et son journal s’étend de la mi-mai à la mi-août. Il a donc consigné trois mois au cœur du funeste été 2022 - celui qui vit la forêt girondine s’embraser. Il aura demeuré sur sa plage de prédilection (La Lagune) peu avant, en juin, mais il en suivra le déroulement, atterré, depuis Bénerville.
Aussi suivons-nous les successives rencontres de Raphaël. Celle de La Grande Motte lui fait mieux connaître Mona, sa logeuse, farouchement indépendante et éminemment sympathique. Puis viendra Loïs le jeune naturiste de La Lagune que Raphaël intrigue avant que ce dernier n’apprenne les raisons des agissements du garçon. Hélène, la plagiste de Bénerville, quant à elle, parviendra à ses fins en invitant Raphaël dans une maison extraordinaire. Mais c’est dans le final à Préfailles avec Elisabeth, son amour de jeunesse et Jeanne, sa fille reçue à ses examens, que Raphaël nous émeut le plus.
Âmes sensibles s’abstenir, la place est prise...
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Vers les îles éparses d'Olivier Rolin aux éditions Verdier
Attention, la question qui va suivre est également valable pour d’autres expériences du même genre : Qu’emporteriez-vous pour un voyage d’environ quatre semaines sur un navire militaire où vous seriez invité et dispensé de toute tâche manoeuvrière à bord ?
Pour résumer, vous allez vous ennuyer gravement. Olivier Rolin n’étant pas né du dernier grain (de pluie) a accepté ce challenge et bien évidemment en a tiré un livre. Le résultat ne se vendra pas aussi bien qu’un Tesson et c’est dommage.
Certes, il n’y a pas autant de références ou citations culturelles que chez Sylvain T. mais l’homme de ce livre qui approche les quatre-vingt ans n’a point besoin de faire étalage de son savoir. Il est même très humble...
Il n’empêche que le voyage en question qui l’embarque sur un bateau de la Marine nationale le destine à observer le ravitaillement en vivres de quelques îles de l’océan indien. Des îlots à vrai dire, occupés par quelques individus représentant la France (et son armée) au cas où laissés libres ils rejoindraient la puissance locale nommée Madagascar.
Rassurez-vous, point de bataille navale à l’horizon, en revanche beaucoup d’exercices de simulation à bord dans l’attente d’un événement probant. Une escale par exemple, Durban en l’occurence où les jeunes matelots et les officiers vont s’en donner à coeur joie dans une ville qu’on leur signale pourtant comme dangereuse.
Mais le plus intéressant dans cette histoire est le regard porté par un homme vieillissant sur des jeunes gens qui peinent à évaluer son statut d’écrivain. Ce décalage immense entre jeune et vieille génération est le moment fort et constant de ce récit.
Olivier Rolin pour ceux qui l’ignorent est un très grand écrivain-voyageur et cela ajoute à l’émotion qui découle en le lisant. Son application à décrire les paysages force le respect. Les bleus de la mer, les aurores, les nuages sont imparablement teintés de poésie et d’une profonde admiration pour ce spectacle. Les îles elles-même puisqu’il faut en passer par là recèlent un charme bien qu’accaparées par une faune souvent hostile.
Voilà de quoi motiver un embarquement immédiat avec pour instructeur un écrivain impeccable dont on souhaite lire encore de nombreux livres de cet acabit. -
Départs de feu d’Olivier CADIOT aux éditions P.O.L.
Les éditions P.O.L. continuent leur route littéraire et non du roman après le décès de leur fondateur.
Olivier Cadiot en serait une des figures de proue, un « historique » si l’on préfère, fidèles d’entre les fidèles depuis
sa première publication en 1988 soit 5 ans après la naissance des « Paul Otchakovowsky Laurens » que nous sommes encore nombreux à écorcher le nom, lui-même considérant plus simple un acronyme plus seyant à l’oreille - voilà ce que c’est que d’avoir des origines moldaves.Olivier Cadiot donc et son Art poétic’ de 1988 qui le définissait d’emblée et qui 37 ans plus tard continue d’affirmer son hybridation résolue et la sensation d'une écriture rapide comme un torrent avec l’ivresse de partir vers nulle part et avec la certitude d’y trouver un sens.
Cadiot Olivier, également auteur de Futur ancien fugitif (1993), du Colonel des zouaves (1997) et du Retour définitif et durable de l’être aimé (2002) (dont l’auteur de ces lignes s'est senti immédiatement proche) demeure un inclassable essentiel, une sonde experte de l’âme humaine, la sienne et toutes les autres, considérant que l’expérience d'une vie est toujours à faire et à dire : unique, incertaine, palpitante.
Alors comment résumer Départs de feu ? Bien habile qui y parviendrait. Il s’agirait d’accompagner cet art de l’écriture qui mène à un paysage de sensations et de souvenirs dispersés dans le temps. L’utilisation du journal comme procédé quoique fantasque demeure pour autant précis, il consigne les élans d’un homme quelque peu déboussolé par des connaissances acquises au gré de ses
voyages, de ses rencontres et des époques.Citons-le !
« C’était une vraie forêt, cette forêt. Et le bungalow était introuvable.
On voit de loin un type assis sur le talus.
C’est rare de voir quelqu’un assis dans l’herbe tout seul à ne rien faire.
C’est Stanley et Livingstone, je lui dis en riant.
Ça va ?
Vous avez l’air tourneboulé.
Vous devez avoir vraiment chaud habillé comme un oignon comme ça. Même si
c’est l’hiver ici en plein été.
Attendez, je lui dis. Ne vous déshabillez pas quand même si vite, on n’est pas à
la presse.
C’est intrigant quand même de voir un type dans cette situation.
Il ne se repose pas.
On dirait un promeneur... un randonneur ne resterait pas là en train de fixer
l’herbe. Un sportif ?
C’est impossible, un vrai sportif, c’est quelqu’un qui, attendant au feu rouge,
avant d’arriver au parc, court sur place, ouf, ouf.
Alors vous voulez écrire ? Il me demande comme ça.
Oui, je lui réponds, bien sûr.
Ça tombe bien, il me faillait un disciple. Je suis tellement triste, ça va me faire
du bien, je ne sais pas ce que j’ai à être triste comme ça. Ce n’est pas la peinede tortiller du cul, je suis vraiment triste.
C’est vrai, on dirait que c’est éternel ici ? Non ?
Une sorte d’éternité ?
L’inoubliable.
Quelque chose survit au passage du temps.
Tout conspire.
Au moment de mourir, on peut se dire que tout ce qu’on a fait contient aussi ce
qu’on a pas fait.
C’est formidable non ?
Ça ne veut pas dire refuser de faire une chose pour en accepter une autre.
C’est le contraire : le non-fait s’infuse dans le fait.
Ce que tu as fait contient plus que ce que tu fais.
Donc aucun regret.
Alors pourquoi je suis si triste ? La seule chose qui ne peut pas être détruite,
c’est la puissance de vie.
Vous l’avez cette puissance, mais oui, ne vous inquiétez pas, je lui dis
gentiment.
Je vous appelle George.
Ça vous va ?
Ça me simplifie.
Je vous passe sous silence les longs mois passés avec ce poète des bois. Au
début, j’ai marché avec lui complètement. » -
Un peu de froid et beaucoup d'amour.
Quitter le soleil brûlant de son pays, sa famille et ses amis pour une région couverte de neige dans un pays inconnu quand on a neuf ans peut être dur. Mais rencontrer une princesse des neiges peut adoucir bien des malheurs.
Un roman doux et émouvant qui dépeind les mensonges des adultes, les histoires d'amour qui fleurissent à travers la neige et les réactions de chacun face à la fatalité de la vie.
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Leur rencontre a lieu à la sortie d'un film
Leur rencontre a lieu à la sortie d’un film ce qui tombe plutôt bien car ils en sont deux inconditionnels. Elle s’appelle Florence, lui Pierre. Tout cela semble avoir été mille fois dit et cela est vrai mais cela n’empêche pas de recommencer mille fois encore l’histoire tout comme on peut revoir mille fois un film. Ce qui est le cas pour ces deux-là. Elle et lui, c’est aussi deux acteurs Deborah Kerr et Cary Grant en 1957, jouant un film d’amour (manqué). Voilà ce qui va réunir Florence et Pierre et l’on comprendra plus tard combien Florence est une adepte des « décisions difficiles ». Il n’en faudrait pas plus sauf que le point de vue de Florence se considère mieux à l’aune des années qui la sépare de Pierre, à peu près vingt ans. Mais ce serait sans compter un antécédent qui s’est déroulé à Vienne en 1974 lorsque la jeune Florence rencontra Egon Dartman vieil auteur autrichien dans le cadre de ses études. Partant de ce que Pierre apprendra de ce qui se passa dans la vie de Florence cette année-là, l’attitude des deux personnages est précieux. Notre époque où les sentiments narrés dans ce roman sont si rares sert la construction miraculeuse du livre. En effet, Jean-pierre Montal échafaude un excellent portrait des moeurs contemporaines et où l’écriture brille sans forcer.
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Un premier roman bouleversant !
Dans les années 60 et 70, des milliers de jeunes enfants sont enlevés de leur famille sur l'île de la Réunion pour être placés dans des familles d'accueil en métropole. Face à l'exode rural, le gouvernement français a jugé bon de déraciner ces enfants pour remplir et dynamiser les campagnes françaises. Ce fut un fiasco.
Anaëlle Jonah, dans ce premier roman magistral, nous immerge dans cette période mal connue de notre Histoire. Nous suivons le destin d'une fratrie dont font partie Marie-Thérèse et son frère Joseph. D'abord placés dans un foyer, ils se retrouvent dans une ferme isolée, et comprennent rapidement ce que l'on attend d'eux. Ici, pas d'école, mais un travail forcé dans les étables et les travaux domestiques. Dans cet enfer sur terre, Marie-Thérèse et son frère trouvent refuge dans leur amour mutuel, à travers lequel ils essaient de conserver leur âme d'enfant. Ils se créent un monde, mais aussi une cachette bien réelle dans une petite cabane non loin de la ferme.
Le roman alterne ces années de violence et le temps présent. Marie-Thérèse est désormais une dame âgée, et revient avec sa fille sur l'île de la Réunion, à la recherche de cette partie d'elle-même déchirée par la vie.